Depuis dix ans, je réfléchis à la découvrabilité dans le secteur des arts et de la culture au Canada. C’est un sujet qui revient sans cesse, peu importe où je porte mon regard. Que ce soit dans la planification stratégique, l’infrastructure numérique ou les discussions avec les acteurs du milieu artistique, les mêmes questions fondamentales émergent souvent :
- Comment s’assurer que les œuvres artistiques et culturelles ne sont pas seulement créées, mais aussi vues, comprises et valorisées ?
- Comment empêcher la culture de disparaître dans l’immensité abyssale d’Internet, dominée par les algorithmes ?
- Qui contrôle les conditions permettant d’être trouvé ?
Ces questions ne sont pas abstraites pour moi. Elles se manifestent dans mon travail quotidien. En tant que membre du conseil d’administration de Diagramme Gestion Culturelle, nous avons travaillé à aligner la stratégie de l’organisation avec les priorités du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), dont l’une est précisément la découvrabilité—garantir que les artistes et leurs œuvres puissent être trouvés.
Il est évident que les conseils des arts reconnaissent l’importance de la découvrabilité. Mais y réfléchit-on avec assez de profondeur ? La visibilité n’est qu’une partie de l’équation. Qui la contrôle ? Comment les récits culturels sont-ils façonnés ? Quels systèmes déterminent l’accès ? Si nous ne nous posons pas ces questions, nous risquons de réduire la découvrabilité à un simple problème de distribution, alors qu’il s’agit d’une question fondamentale de pouvoir, de représentation et d’agence numérique.
Cette question de l’accès et du contrôle qui l’accompagne me préoccupe aussi sous un autre angle. En tant que PDG et cofondatrice de Culture Creates, une entreprise spécialisée en technologies sémantiques pour le secteur des arts, je ne considère pas la découvrabilité seulement comme un enjeu de politique publique, mais aussi comme une question profondément technique—celle qui détermine comment les données culturelles sont structurées, reliées et rendues visibles en ligne.
Et à travers ces deux perspectives—stratégique et technique—j’en suis venue à une prise de conscience fondamentale :
La découvrabilité ne peut pas être seulement une question d’être trouvé. Elle doit être une question d’agence—qui est vu, comment et pourquoi.
La plupart des gens ne réfléchissent pas à la façon dont ils trouvent l’information en ligne. Ils supposent simplement qu’elle est disponible lorsqu’ils en ont besoin. Mais la découvrabilité n’est pas un phénomène spontané : elle est contrôlée. Et en ce moment, elle est contrôlée par des plateformes et des algorithmes qui n’ont pas été conçus pour répondre aux besoins des artistes, des organisations culturelles, des communautés—ni même, plus largement, à ceux de la société.
Pendant des années, nous avons laissé les plateformes commerciales dicter ce qui est mis en avant, ce qui est enterré et ce qui disparaît complètement. Les moteurs de recherche privilégient ce qui maintient les utilisateurs sur leurs plateformes. Les réseaux sociaux amplifient ce qui génère de l’engagement. Les outils d’IA extraient, remixent et diffusent du contenu en modifiant son contexte et sa signification d’origine. Et comme ces systèmes fonctionnent de manière invisible, la plupart des gens ne réalisent pas à quel point ils ont déjà perdu le contrôle.
Si nous continuons à laisser la découvrabilité être dictée par ces forces, que risque-t-on ?
- L’effacement des voix de niche, locales et indépendantes au profit d’un contenu standardisé et de masse.
- La perte de contexte, où le sens est aplati en simples mots-clés et où les algorithmes effacent l’intention artistique.
- Une dépendance accrue à la visibilité payante, où la découvrabilité est enfermée derrière des budgets publicitaires.
- Un accès de plus en plus inégal, rendant certaines œuvres et perspectives plus difficiles—voire impossibles—à trouver.
Ce n’est pas un problème du futur. C’est déjà en train de se produire.
La découvrabilité n’est pas neutre. Ce n’est pas seulement une question de visibilité, mais une question de pouvoir.
John Berger, dans Ways of Seeing, nous rappelle que « chaque image incarne une manière de voir. » La façon dont nous percevons quelque chose est influencée par qui la cadre, comment elle est présentée et quel contexte est donné—ou omis. La découvrabilité fonctionne exactement de la même manière.
Mais ce problème n’est pas nouveau. Il y a plus de 2 000 ans, La Poétique d’Aristote explorait la manière dont l’art est structuré, interprété et rendu significatif pour un public. Aristote affirmait que les récits reposent sur la mimesis (imitation de la réalité) et la catharsis (impact émotionnel sur le spectateur). Mais que se passe-t-il lorsque la découvrabilité est dictée par des algorithmes plutôt que par une intention humaine ?
- Si la découvrabilité détermine ce qui est vu, détermine-t-elle aussi ce qui est réel dans le paysage numérique ?
- Si l’accès aux œuvres culturelles est façonné par des forces externes, la catharsis existe-t-elle encore, ou le sens est-il dilué par les mécaniques des moteurs de recherche et des algorithmes d’engagement ?
Aristote voyait la narration comme un acte délibéré—un moyen de relier les gens à des expériences communes. Dans un monde numérique, la découvrabilité doit aussi être un acte délibéré, sinon nous risquons de perdre le contrôle des récits qui nous définissent.
Pourquoi ce changement est crucial
1. Façonner le savoir doit appartenir aux humains, pas aux machines
L’IA et les moteurs de recherche médiatisent la façon dont nous trouvons l’information. Si nous ne prenons pas en main la structuration et la contextualisation de notre travail, ces systèmes rempliront les vides avec ce qui est le plus rentable—pas ce qui est le plus significatif.
2. La résilience culturelle dépend de la visibilité
Si la découvrabilité reste un processus passif, contrôlé de l’extérieur, des traditions artistiques entières, des langues et des perspectives risquent d’être marginalisées ou effacées. Lorsque les artistes, les institutions et les communautés prennent en main leur découvrabilité, ils assurent la transmission d’une mémoire culturelle dynamique et accessible.
3. Une économie numérique plus équitable
Aujourd’hui, les grandes plateformes monétisent la découvrabilité, en profitant du contrôle qu’elles exercent entre les créateurs et le public. En faisant de la découvrabilité un acte d’agence, nous décentralisons ce contrôle et créons des voies directes entre les producteurs culturels et les citoyens.
4. Aligner la découvrabilité avec des valeurs ouvertes et démocratiques
La découvrabilité ne devrait pas être dictée par des algorithmes propriétaires. Elle devrait être un bien public, aligné sur les valeurs d’ouverture, de transparence et d’accès équitable.
Ce n’est que le début
Cet article est le premier d’une série de réflexions sur la découvrabilité et l’agence. Chez Culture Creates, nous croyons que l’infrastructure numérique est la culture—et cela signifie que nous devons la construire avec intention. Dans les semaines et mois à venir, j’écrirai davantage sur la manière dont nous pouvons façonner activement la découvrabilité—par des stratégies de données ouvertes, des infrastructures numériques et une réinvention du partage des connaissances culturelles.
Si ces idées résonnent avec vous, poursuivons la conversation. Comment percevez-vous l’impact de la découvrabilité sur votre travail ? Qu’impliquerait le fait de transformer la découvrabilité en un acte d’agence dans votre domaine ?