« Nous sommes à un point tournant crucial où l’économie numérique, la souveraineté des données et la précarité dans les arts et les industries créatives convergent. »

Quand j’ai lu ce commentaire de Kelly Wilhelm sur mon dernier article, j’ai marqué une pause.

Depuis des années, je me concentre sur la découvrabilité — sur la façon dont les arts et la culture sont repérés en ligne, et sur la manière dont l’infrastructure numérique façonne ce que nous voyons (et ce que nous ne voyons pas). Mais dernièrement, je me pose une question plus profonde :

Prend-on même en compte la souveraineté culturelle dans la manière dont nous bâtissons l’infrastructure numérique, ou nous contentons-nous de nous adapter à des systèmes qui nous échappent ?

Cette question n’est pas seulement théorique. Elle est urgente.

En ce moment même, le paysage mondial évolue de manière à avoir des conséquences profondes pour les industries créatives canadiennes. L’essor de l’intelligence artificielle, la domination des plateformes américaines, et l’incertitude économique alimentée par des politiques commerciales changeantes — y compris de nouveaux tarifs punitifs — nous obligent à repenser la manière dont nous soutenons et protégeons le savoir culturel dans un monde numérique.

Mais ce qui rend ce moment unique, c’est qu’il ne s’agit pas seulement de dépendance — mais d’instabilité.

Je réfléchis à l’instabilité — non pas seulement comme un sous-produit des bouleversements politiques et économiques, mais comme une stratégie délibérée. Si l’on observe le paysage actuel des États-Unis, l’imprévisibilité des politiques commerciales, des réglementations sur les plateformes et des relations internationales n’est pas accidentelle. Elle est conçue pour perturber.

Cela m’amène à me demander : que devient la souveraineté culturelle quand la planification à long terme devient impossible ? Que se passe-t-il lorsque les systèmes sur lesquels nous comptions — qu’il s’agisse d’accords commerciaux, de plateformes numériques ou de partenariats économiques — deviennent si instables que la seule option qui nous reste est de réagir ?

Je n’ai pas toutes les réponses, mais je sais ceci :

  • L’autonomie vient de la capacité à créer nos propres conditions de stabilité.
  • Dans un monde chaotique, nous ne pouvons pas nous permettre de rester passifs face à l’infrastructure qui soutient nos secteurs des arts et de la culture.

La découvrabilité n’est pas seulement une question de visibilité — c’est une question de souveraineté

On parle souvent de la fracture numérique en termes d’accès : qui peut se connecter ? Qui a les outils pour participer ? Mais la question la plus pressante aujourd’hui est : qui possède et gouverne l’infrastructure numérique elle-même ?

Le système actuel fonctionne ainsi :

  • Les plateformes régissent aujourd’hui la distribution culturelle. Internet devait démocratiser l’accès, mais ce sont désormais les plateformes centralisées qui décident de qui est visible — et à quelles conditions.

  • L’IA repose sur des données culturelles non réglementées. Sans cadre de gouvernance, les œuvres artistiques sont traitées comme de simples matières premières pour des systèmes automatisés, plutôt que comme des actes d’expression intentionnels.
  • La précarité économique affaiblit notre capacité d’agir. Quand les ressources sont rares, le secteur des arts est contraint de dépendre des mêmes plateformes qui rendent la découvrabilité coûteuse et incertaine.

Et lorsque l’instabilité devient une tactique, ces dépendances deviennent encore plus dangereuses.

Un système de licences équitable commence par des métadonnées FAIR

Avant de pouvoir bâtir un véritable système de licences équitables, nous devons nous assurer que les métadonnées culturelles elles-mêmes soient FAIR : Findable (repérables), Accessible (accessibles), Interoperable (interopérables), et Reusable (réutilisables).

Note : Les métadonnées sont des données sur des données — elles décrivent, classent et relient l’information pour la rendre repérable et utilisable.

Aujourd’hui, trop de métadonnées dans le domaine des arts et de la culture sont fragmentées, enfermées dans des silos, ou structurées de manière à ne pas favoriser la découvrabilité. Si nous ne réussissons pas cette première couche, aucun modèle de licence, aussi équitable soit-il, ne pourra fonctionner efficacement.

Rendre les métadonnées FAIR permet de :

  • Rendre les artistes et les œuvres culturelles repérables et accessibles sur les plateformes et moteurs de recherche.
  • Assurer que les données soient interopérables, c’est-à-dire qu’elles puissent se connecter à des graphes de connaissance ouverts, des registres et des archives publiques.
  • Permettre aux artistes et aux organisations culturelles de conserver leur autonomie numérique, plutôt que de dépendre de systèmes propriétaires qui contrôlent leur découvrabilité.

Les métadonnées FAIR ne sont pas une fin en soi — elles constituent le point de départ. Une fois que nous avons une base de données culturelles structurées, ouvertes et éthiques, nous pouvons enfin aborder les grands enjeux de la gouvernance et de l’octroi de licences équitables.

Une approche à 360 degrés de l’infrastructure culturelle

Le commentaire de Kelly Wilhelm soulève aussi un point essentiel : on ne peut pas aborder la découvrabilité ou les licences de manière isolée. Il faut une approche à 360 degrés de l’infrastructure culturelle — qui intègre gestion collective, octroi de licences, accès ouvert et utilisation éthique de l’IA, tout en assurant que le savoir culturel soit protégé et utilisable dans différents contextes : expositions, éducation, recherche et innovation numérique.

Ce type de réflexion remet en question le statu quo, où les données culturelles sont soit monopolisées par des plateformes, soit dispersées dans des systèmes déconnectés. Un modèle à 360 degrés suppose une infrastructure culturelle pensée, interconnectée et conçue pour durer — et non un simple patchwork de solutions temporaires.

L’autonomie, c’est façonner notre propre avenir

Le véritable enjeu ici, c’est l’autonomie.

On possède de l’autonomie quand on oriente son propre avenir numérique. On la perd lorsqu’on est contraint de s’adapter à des forces extérieures qui changent sans avertissement.

Le Canada a une opportunité — maintenant — de jouer un rôle de leader en matière de souveraineté culturelle. Mais cela demande plus que de s’adapter aux bouleversements mondiaux. Cela exige de construire activement l’infrastructure qui garantira notre résilience à long terme.

Le Canada a besoin d’une stratégie d’infrastructure numérique — maintenant

Ce n’est pas seulement un enjeu du secteur des arts. C’est un problème structurel qui touche toutes les industries qui dépendent de la donnée, de l’accès numérique et du savoir. Et à mesure que l’économie mondiale devient plus instable, le Canada doit commencer à considérer l’infrastructure numérique comme un pilier essentiel de sa résilience économique et culturelle.

Sinon, nous resterons dépendants de forces extérieures — des plateformes américaines, des modèles d’IA privés, et des politiques économiques hors de notre contrôle — pour déterminer l’avenir de nos industries créatives et de notre savoir culturel.

Ce n’est qu’un début

C’est cette conversation que je souhaite poursuivre.

Dans mes prochains articles, j’explorerai des stratégies — approches en données ouvertes, changements politiques, modèles d’infrastructure — pour redonner à la découvrabilité ses véritables protagonistes : les créateurs, les institutions, et le public.

Si cela vous interpelle, continuons la discussion.

Quelles solutions d’infrastructure numérique avez-vous vues fonctionner ? Que manque-t-il encore ?